Prise directe : La Cène : un prétexte avant de passer à table.
Propos recueillis du peintre en cours de réalisation. Patricia Rouillard : Avril 2011.
La commande, c’est : « Voilà le mur, on aimerait avoir une toile. Point. » À mon avis elle va s’appeler « Cène ». J’vois pas vraiment ce que je dirais d’autre, à moins que je trouve une phrase un jour qui transforme la peinture. Pour l’instant c’est Cène. En fait c’est une toile qui va aller dans une salle à manger, donc il fallait penser à peu à ça. C’est comme ça que j’en suis arrivé à ce truc : c’est moi qui ai eu l’idée de la Cène, des gens qui mangent... La Cène, c’est le dernier repas,
Mais là, à mon avis, ils ont pas fini ! ils en ont encore pour quelques heures de boufetailles: ils festoyent, là ils sont entrain de blaguer. Bon, lui il s’endort déjà parce qu’il a trop bu ; y’en a qui sont restés assis et puis y’en a qui bougent : Elle lève la jambe de joie, c’est la fête, et puis parce que j’aime bien les mettre les jambes en l’air. Comme toujours dans les repas, y’en a toujours un qui se lève. Un, deux, trois, quatre cinq six, sept, huit… y’en a neuf… il fallait que la toile soit envahie par les gens. Mais sans que ça devienne une représentation des gens à table. Ça doit être une « masse » de gens, et donc, il faut vraiment monter le plus possible dedans, prendre le plus possible le fond.
One sait pas s’ils sont nus. Enfin, si, on le sent, moi je le sais. On va pas le dire. En fait, il fallait quand même faire attention à ce qu’il n’y ait pas que du sexe et tout ça la dessus et puis, en plus, c’est pas nécessaire à vrai dire. Mais, j’enlève rien du tout au sujet. Ça ressemble bien à ce que c’est. Donc là, il sont comme ça, c’est tout.
Je ne peux pas être sérieux et sombre en faisant ça. Puisque ça me fait marrer. Par contre les symboles, ça titille quand même. Bon, j’ai pas fait un qui s’en allait, ni un qui est central non plus, c’était pas la peine. Ce sera joyeux. En général mes toiles sont relativement joyeuses, elles sont parfois un peu cruelles, mais elles ne sont pas sombres.
Y’a encore deux toiles qui doivent venir : l’histoire du poisson… Là bas. Y’en aura pas à table, donc je vais mettre un poisson là. Et en même temps ça fait encore une fois une référence à la religion : le repas, le pain, le poisson, l’agneau, le vin… Le couteau, c’est pour couper la tête et pour manger un peu. Normalement ils n’en ont pas. La troisième toile, ce sera à nouveau la tête de l’agneau, mais ça sera comme si la cuisinière offrait la tête d’agneau à manger. En plus des têtes d’agneau, ici on en a, dans la rue d’Aubagne, qui tournent. C’est rigolo à voir d’ailleurs, donc moi ça me plaît. En fait ce sera le complément de ça, on sera dans les cuisines.
Le sujet me fait rire : toutes les séries qui ont déjà été faites, c’est toujours hyper sérieux. À la rigueur y’a peut-être celle de Dali qui est un peu une moquerie, mais les autres, c’est toujours très très sérieux : c’est vraiment un dernier repas, une parole _ après c’est le bordel… Et moi justement je m’amuse, je fais un repas, une Cène, parce que ça ressemble à une Cène, l’installation des personnages est la même, mais en même temps c’est carrément autre chose. J’avais des Cènes en mémoires, et après du coup je suis allé retourner en voir. J’ai pas regardé les tronches des personnages, c’était pour voir comment ils mettaient leurs personnages, j’ai regardé les tables, comment elles étaient. Selon y’avait des tables très, très bien faites avec des draps, des drapés magnifiques. Alors tout ça, ça peut m’intéresser, parce que parfois je peux avoir envie tout à coup de faire un très, très beau drapé au milieu du truc. Donc voilà ce que je regardais. C’est ça l’intérêt de toutes ces toiles qui ont été faites, c’était pas vraiment pour en faire quelque chose de religieux. Les peintres, je pense qu’ils se fichaient bien… Bon, peut-être qu’ils avaient un peu de foi et tout ça, mais… À mon avis, ils se régalaient plus à… C’est un prétexte en fait, tous les sujets sont des prétextes à… Et, moi aussi, c’est un prétexte.
Tu peux revenir dans une semaine, ce sera carrément différent.
Je suis encore en train de mettre en place les personnages. Quelque chose qui est différent du projet et qui est en même temps la même chose. Je fais que ce qui se passe dans ma tête et au bout du pinceau, en fait. Je ne reviens plus au modèle. En fait le projet c’est qu’une idée. Une idée que j’ai présentée. J’ai repris plus ou moins des personnages qui m’avaient plus, mais pas tout à fait au même endroit. Je commence vraiment un autre travail. À ce stade, j’ai tout lâché.Aujourd’hui j’ai rempli le bas, j’ai colorié le bas. Tant que c’était que de la toile, c’était vraiment emmerdant. J’ai commencé là, j’ai mis un peu d’ombre, et je ne sais pas si ça va rester comme ça, mais ça donne aussi des reliefs qui me plaisent. Je vais revoir la nappe, question d’ensemble, ni mouvement, ni couleur, je vais la rendre plus abstraite. Je vais remonter les trois personnages à gauche et puis après faire les fonds. C’est encore fort statique en réalité à ce stade. Y’a encore beaucoup de choses à faire pour rendre le truc plus dynamique. Entre la forme, entre les couleurs, entre les espaces, tout. C’est pour ça qu’au départ, je remplis, et après le travail commence vraiment. Des choses vont disparaître, d’autres qui vont apparaître. Par exemple ces deux personnages, là, ne me plaisent pas du tout : ils sont là mais ils ne représentent pas assez ce que je veux. Là j’en avais un, je l’ai carrément effacé. Je l’ai recouvert de papier kraft : le personnage, l’utilisation de l’espace ne me plaisaient pas ; les proportions non plus. Ça c’est celui que j’ai refait ce matin. Il était très différent, il avait des plus gros seins… j’ai estompé parce que ça ne plaisait pas. Ils prenaient trop de place par rapport au bras. J’avais envie qu’il y ait un long bras comme ça, et le sein il me cachait le bras, à moins de mettre le bras très loin. La déformation n’était pas belle.
À partir de maintenant c’est l’ensemble en fait : les personnages sont là, ils ont été installés plus ou moins. Les personnages changeront en fonction de l’ensemble. Donc il faut que je les fasse quand même tous, les uns après les autres. Un personnage après l’autre, je m’invente des histoires. Les personnages qui ont le plus de caractère sur la toile, sont ceux qui ont le plus existé quand je les faisais. Les autres, c’est des masques, des masques de couleur.
Dans le projet, y’a plus, pour l’instant, de liberté, et là je l’ai pas encore trouvée . c’est encore trop sérieux, trop travailleur, trop laborieux. Donc ce n’est pas suffisant.Pour que ce ne soit plus laborieux, il faut travailler beaucoup.
Pour l’instant je fais des acryliques et tout ça, mais en fait bientôt je vais sortir les huiles, parce que je mélange tout, alors… Je vais voir si je vais faire du collage : des morceaux, des bouts de papiers, des bouts de tissus, je ne sais pas encore. Une fois que c’est mis en place ça se fait sur la toile. Enfin, une partie. L’ autre partie est toujours intellectuelle, çase passe ailleurs. Je le fais, puis c’est peut-être pas bon, et donc je recommence autre chose. À un moment donné je sais : ça corresponde à ce que j’aime, j’imagine et puis aussi la toile te donne l’impression qu’elle tient : elle passe pas d’un côté, elle sort pas d’un côté de l’autre, tu la poses et c’est stable.
La chair du 3eme personnage en partant de la droite
Y’a de la colle, du plâtre, J’ai fait une matière en fait avec de la colle du plâtre et de la peinture. J’ai mélangé tout et puis après j’ai peint. Ça fait ce rose là. J’ai un pot que j’utilise tout le temps, depuis très longtemps, il a cette couleur-là, de toutes ces chairs toute pourries, toute pas belles.
Les chaussures rouges, je ne sais pas pourquoi. Peut-être elle avait froid aux pieds, on ne sait pas. Au départ j’avais pensé mettre deux chats, mais les chaussures rouges vont simplifier les histoires. Elles sont sur un autre projet et je les ai reprises là. C’était naturel en dessinant le projet : tout à coup je dessine les pieds _, tout à coup je dessine les godasses. Bon, voilà, c’est bon. Ça fait aussi contraste avec tout ce nu… puis tout à coup tu as des chaussures.
Les cheveux de Léna, la petite fille. Les miens, je vais encore en mettre. Parce que, maintenant, les enfants ils me donnent tous leurs cheveux : « Tu veux des cheveux, tu veux des cheveux ? »
Du coup pour trouver mon adn là dedans, ça va être de plus en plus difficile, pour tout le monde. Parce que au départ c’était ça aussi les poils, en me disant : « comme ça, s’ils font une analyse adn des toiles, plus tard, ils sauront que c’est à moi. »
Les yeux qui sont dehors, au dessus, ça me fait penser à des BD. Moi ça me fait rire, donc je le mets. Après ça sera peut-être transformé en peinture… Ça fait partie du travail, ça devient de la mise en place esthétique : quand le personnage est en place, je fais ça, hophop.
Le chat, en fait je sais pas. C’est, parce qu’il fonctionnait bien en mouvement dans l’ensemble de la toile, ça apporte un avant-plan qui est intéressant. Il crache .. C’est bien parce que sinon ça fait une grosse boule toute ronde, ça représente trop le chat. Tandis que là, c’est un chat, mais c’est pas une idée du chat, c’est l’idée d’un animal, n’importe quel animal, pas le chat qu’on voit toujours bien assis, toujours bien sage, qui représente les symboles de la sagesse, enfin toutes les conneries du genre. Or moi je ne veux pas qu’il représente ça, je veux qu’il représente un animal.
Un chat chiant ?_ Oui, voilà.
C’est un pain maison, d’une machine pour faire le pain soit même chez soit. Mais bon, il va changer aussi, il me plaît pas pour la toile, il fonctionne pas. Parce qu’il est massif, puis il est trop… trop pain en fait. Je ne dirais pas qu’on irait le couper pour le manger, mais enfin, il ressemble trop à un pain. Et c’est trop fort par rapport au reste. Il n’a pas assez d’abstraction par rapport à la tête ou aux pieds…Puisqu’on peut imaginer que ce sont des pieds. Les pieds, je sais pas s’ils y sont tous. whoa, c’est à peu près le compte.